TW : violence conjugale, cannibalisme, comportement addictif (alcool)


2019, Ukraine, sous terre, près d'un ancien réacteur nucléaire.
No more bullets and the embers are dead
Whispers in the air tell the tales of the brothers gone
Desolation, devastation
What a mess we made, when it all went wrong

I'm nuclear…

« C'est hors de question. »
Ses prunelles se font d'acier lorsqu'elles se plantent dans celles de son frère d'arme. S'il le domine d'une bonne tête, en cette situation de crise, sa volonté s'effrite face à celle de son semblable.
« C'est pourtant la seule solution. »
« Une solution ?! Dmitri, t'as pété les plombs, on peut pas… »
Son regard chute jusqu'à leur radio grésillante, prête à rendre l'âme. Quelle certitude que leur message de détresse soit parvenu à leur base ? Aucune. Et ils le savaient tous les trois.
… Tous les deux.
« Il est encore tiède, faut faire vite avant que la rigidité cadavérique ne… »
« Merde, tu t'entends parler ?! »
Le géant se masse douloureusement les tempes, refusant délibérément de jeter un regard vers le corps désormais inerte d'Andreï, avachi près de l'éboulement du tunnel qui aurait leur peau à tous les trois.

Des flash-back.
La jambe d'Andreï, son frère d'armes, arrachée par la violence du torrent de pierres.
Son corps écrasé, sous le toit du ciel qui s'était écroulé.
Le tunnel probablement obstrué à tout jamais.
Andreï dégagé. Andreï démembré. Les cris face à la douleur, à l'image morcelée de soi. Puis, la compréhension qu'ils étaient tous trois dans leur caveau. Ce n'était qu'une question d'heures, de jours peut-être. L'air viendrait à manquer, ou la soif et la faim les achèveraient les premières. Difficile à déterminer.
Ils avaient fini par se débarrasser de leur scaphandrier. Peut-être pour ne pas mourir dans un sarcophage. Sauf Andreï, car on le bougeait le moins possible. On gagnait du temps. Malgré l'entraînement militaire qui lui conférait une condition robuste, sans soins, la vie le quittait à chaque expiration. Il serait le premier à partir.

« Dis-toi que ce serait comme ces vieilles légendes guerrières de j'sais plus où… Nouvelle-Calédonie ? »
La faim qui les tiraillait depuis plusieurs jours (une semaine ? comment savoir ? l'absence de lumière naturelle gommait ses repères, vrillait son esprit déjà épuisé) faisait complètement délirer Dmitri. Et cette conversation devenait tant lunaire que Serguey n'articulait que le minimum syndical pour lui répondre, les lèvres sèches, la bouche pâteuse. Ils avaient épuisé leur ration d'eau potable.
« … Quoi encore ? »
« Si on le… »
Le mot ne parvient pas à s'extirper de sa gorge, à rendre tangible cette réalité abjecte que son cerveau malade envisage.
« Ce serait comme… lui rendre hommage, tu comprends ? Absorber ses forces. C'est un peu comme s'il restait avec nous. »
Il ferme les yeux. Longtemps. Lorsqu'il les ouvre de nouveau, Dmitri est déjà penché sur son frère d'armes, pour le débarrasser de son équipement désormais superflu.
C'est la seule solution.
« J'veux juste pas crever… juste… tenir encore un peu, le temps qu'on nous retrouve… ils doivent nous chercher… j'ai des mômes Serguey, putain ! »
Des éclairs migraineux lui vrillent le crâne. Il s'écroule. Etait-il seulement encore debout ? S'est-il seulement entendu répondre, désincarné, en murmurant l'évidence, agité d'une hilarité incontrôlable ?
« De toute façon, on ne peut pas l'enterrer, alors autant que… »



2019, Zelenograd, district de Moscou
Honey, I'm home

« Tu es différent, depuis que tu es rentré. »
La lumière l'éblouit. Lui qui avait cru naïvement pouvoir regagner leur domicile en toute discrétion, sans éveiller sa fiancée inquiète. Une croyance de mâle imbu de lui-même. Ou ivre. Ou les deux.
Il suppose qu'elle parle de sa démarche titubante, alors malgré son esprit embué par l'alcool, il tente la prudence.
« … étais au bar avec les copains… »
« Avec cet ivrogne de Dmitri tu veux dire ? »
Le prénom le gifle et il chancelle. Dmitri. L'éboulement. La centrale. Le trio décapité. Son frère d'armes.
« … burp… Non… »
Ses doigts tremblants s'accrochent à la massive table de chêne qui trône au milieu de la salle à manger. Pour ne pas paraître trop lâche, il lève les yeux vers Olga. Son ventre rond. Les valises qu'il remarque enfin, dans l'entrée. Ses yeux troubles l'interrogent, refusant d'admettre l'irréfutable.
« T'étais avec cette … de Lyuba ? »
Quel mot avait-elle employé pour définir sa meilleure amie, il ne l'avait pas entendu. Il n'écoutait plus. Il n'en voulait pas à Olga. Une femme brisée, trahie, délaissée par un compagnon absent, ombre de lui-même. L'éboulement lui avait aussi jonché le cœur. Il s'était verrouillé.
« Elle… elle sait juste comment… »
« Comment quoi, Serguey ? Te soulager ? »
Le regard furieux d'Olga exige des réponses. Mais elle est désarmée face au silence de pierre du colosse. A court de munitions, elle tente l'évocation de la tromperie. Car c'est tout ce qui lui reste, pour justifier la désertion récurrente.

Mais comment lui expliquer cette Faim qui le tiraillera éternellement, désormais ? Tout comme cette culpabilité
Ce danger qu'il représente pour elle ? Pour leur famille ?
La Mort qui rôde ?
Comment lui dire qu'il l'évite uniquement pour la protéger, sans passer pour un couard ?

Lyuba ? Elle le soulage, oui.
Par ses connaissances. Pour le soutenir, lorsqu'il boit jusqu'à l'aube pour oublier la malédiction.
Il a compris. Le poids du châtiment. Il savait qu'il ne fallait pas céder à ces pulsions innommables. Il avait prévenu Dmitri. Mais… la faim…
Ils avaient perdu la raison.
Est-ce que Dmitri aussi était devenu…? Ils n'avaient pas osé se revoir.

Il soupire. Avoue.
« Oui, elle me soulage. »
Etait-ce cela que tu voulais entendre ?
Déjà condamné, il en rajoute pourtant.
« … il n'y a qu'elle qui puisse comprendre. »
Il voudrait s'excuser, mais les paroles ne franchiront jamais ses lèvres. Il doit la protéger. La chasser loin de lui, loin de la menace qu'il est devenu, loin de cette créature qui dort à ses côtés, lorsqu'elle ne chasse pas pour tenter d'éteindre la faim qui ne se lasse jamais de le torturer.
Alors, il fait ce qu'il a à faire. Pour briser le lien à tout jamais, pour démolir la confiance établie depuis des années. Pour qu'elle ne le revoie plus jamais.

Il lève le bras, inspire douloureusement, et assène à sa femme une puissante gifle qui l'envoie valser de l'autre côté de la pièce.
Le bruit de la trahison résonne atrocement dans la maisonnée débarrassée des affaires d'Olga.
Tout comme son corps qui s'écrase contre le vaisselier, avant de s'effondrer comme une poupée de chiffon.
L'espace d'un instant, il croit l'avoir tuée et hésite à se précipiter à son chevet.
Lâche.
Mais elle finit par se redresser, les yeux emplis d'effroi. Le dernier regard qu'elle lui adressera avant de se détourner à tout jamais. Une pierre tombe au fond de son estomac, roule jusqu'à ses entrailles, s'empile sur les autres rocs qui obstrueront désormais le chemin jusqu'à son cœur.

Lui aussi, il partira.
Sans se recueillir sur le tombeau vide d'Andreï, sans visiter Dmitri.
Sans s'excuser auprès de cet enfant qu'il n'aura jamais.

Une virée à Las Vegas, une promesse éternelle sous le regard d'Elvis, son destin scellé à celle qui ne le repoussera peut-être jamais. Lyuba.
Un road-trip aux Etats-Unis, la vague de leur débauche qui échoue à Vancouver, et cette opportunité inespérée de pouvoir se repaître sans plus jamais arracher la vie de quiconque.

These days I'm becoming everything that I hate
Wishing you were around but now it's too late
My mind is a place that I can't escape your ghost

Ouuuui fini vite ta fiche pour venir flooder avec moi.  

Et le coup d’un wendigo qui travaille dans les pompes funèbres est trop une bonne idée.  
Hâte de retrouver ta beauferie légendaire.  

Olala j’adore ce que je vois déjà !
Trop contente de voir encore un wendigo **
Hâte de lire la suite et de croiser Serguey et Bijou ahah

Merci pour ton retour !

J'ai édité la rubrique "opinion et connaissances du surnaturel" en précisant davantage les éléments que tu as soulevés, surtout dis-moi si tu souhaites que j'étoffe encore !

- il connaît sa nature, il s'est confié à Lyuba sur son acte d'anthropophagie et ses pulsions de dévoration (quelques semaines après l'incident), et comme elle est issue d'une lignée de sorcières russes qui sont familières de certains rituels cannibales, elle a pu identifier sa malédiction ;
- il lui arrive de prendre sa forme monstrueuse (qui ne le rebute pas tant que ça, en tout cas pas autant que de bouffer quelqu'un xD), je ne l'ai pas acté avec précision mais ça doit être quelque chose comme une fois par mois / tous les deux mois maximum ;
- il a déjà chassé au Canada et continue de le faire quand le besoin de chair fraîche se fait trop sentir, alors il part seul, s'éloigne de son lieu de vie, se prend une chambre dans un motel ou campe, pour mettre à l’œuvre la sélection naturelle

Merci mes oiseaux pour l'accueil, et merci pour la validation, hâte d'écrire du drama et des feels avec vous !