Rapport d’auto-analyse, par Candice Latour.
5 janvier 2024, Vancouvert.


La réserve faunique des Laurentides, ses bois aux couleurs changeant au fil des saisons, ses proies nombreuses. Le décor de mon enfance. Mes parents étaient propriétaires d’un relais du Parc Naturel : le Relais du Mont-Apica, dans le nord des bois sur la 169. Une des deux seules routes traversant la réserve. En sus, mon père était garde forestier de toute la zone, de Barrière-Mésy au Carrefour avec la 175. Une zone immense sous son unique responsabilité. Pratique pour dissimuler une meute de loups-garous. Celle dont il était l’Alpha.

C’est pourtant dans la Ville de Saguenay, à l’hôpital de Chicoutimi, que je vis le jour, sous la surveillance d’un des membres du clan, gynécologue de la clinique. Nul n’avait voulu prendre le risque d’une fausse-couche, d’un décès prématuré de ma mère. J’étais la première lycanthrope héréditaire de la meute. La première à naître d’une union lupine. Loin de toute civilisation, je fus élevée par la meute. De nombreuses connaissances me furent léguées, sur les nôtres comme sur la société humaine : son histoire, ses sciences, ses mœurs. J’eus la chance d’avoir une éducation à la fois riche et personnalisée, qui a su développer en moi un caractère curieux et avide de connaissances. Désireux de compréhension.

D’aussi loin que je me souvienne, mes parents ne m’ont jamais caché leur nature, ou la mienne. Même si elle ne s’est pas manifestée réellement avant ma puberté. Le Clan, c’était ma famille. Une famille unie, aimante. Et ils ont veillé à ce que mes premières transformations se déroulent sous les meilleurs auspices. Encadrée comme nul d’entre eux n’avait pu l’être. Avec toute l’empathie dont ils étaient capables.

À ma majorité, j’eus cependant envie de découvrir d’autres horizons. D’apprendre, encore et encore. Je descendis jusqu’à Québec, où je commençai des études de médecine. Le corps humain, sa biologie, mais également ses différences avec celui des nôtres me questionnait. C’est logiquement, alors que mon épanouissement personnel faisait de moi une jeune femme sociable et positive, que je choisis ma spécialité : l’esprit humain. Comme leur corps, je voulais percer le secret de leurs pensées. Et par-dessus-tout, comprendre ce qu’était réellement cette bête en moi. La maîtriser, l’apprendre, l’adopter. Je lui laissais les rênes lorsqu’elle en était demandeuse, loin de tout humain. Elle chassait, et je reprenais le contrôle une fois sa faim satisfaite.

Je notai les changements évidents sur mon comportement lors des phases lunaires où elle était active. Quels mécanismes psychiques étaient à l’œuvre ? J’en fis mon cheval de bataille, sous le couvert de l’apprentissage des Troubles de personnalité et de l’humeur, qui furent le sujet de ma thèse.

Je revenais régulièrement, lors des congés étudiants et entre les semestres, visiter la Meute dans le Saguenay. De nouvelles têtes apparaissaient, parfois. Des égarés venant du nord, dont la meute s’était déchirée suite à des désaccords. Je n’avais pas d’avis sur eux, mais mes parents ne les voyaient pas du même regard. Ma mère se méfiait d’eux, qui n’avaient pas le même esprit de clan que notre meute. Mon père affirmait qu’entre lycanthropes, nous devions tous nous venir en aide.

Lorsque j’eus mon diplôme en poche, après près de six mois sans voir mes proches, je retournai au Relais pour y apprendre une nouvelle morbide : Mon père était mort. Nul n’avait jugé bon de m’en tenir au courant, pas même ma propre mère. L’une des nouvelles recrues, aux dents longues, l’avait défié en duel pour la place d’Alpha. Fidèle à la tradition, mon père avait accepté, prêt cependant à léguer sa place. Ce fut un massacre : l’étranger n’eut aucune pitié, et mon géniteur fut massacré. Il mourut de ses blessures. Une rage sourde monta en moi quand je l’appris. Non seulement sur le responsable de ce meurtre, mais sur tous les membres de la meute. Sur ma mère. Elle soutint que la tradition avait été respectée, que tous devaient la respecter. Je ne le vis pas de cet œil. Sans un au-revoir, je repartis à Québec.

Pendant plusieurs semaines, je me terrai dans la ville, laissant libre cours à la Bête. Je déversai ma haine à travers elle. J’évitai toutes les tentatives de contact de ceux que je croyais être mes proches. Des traitres à mes yeux, désormais. Et je compris que je n’aurais jamais la paix si je restais là, si proche du Clan. Je devais prendre de la distance. J’eus connaissance, par mes contacts humains, d’une spécialisation sur le thème des Troubles de l’Humeur à l’Université de Colombie-Britannique, à Vancouver. De l’autre côté du pays. De l’autre côté du continent. Loin de tout ce que j’avais connu.

Je pris un nouveau départ. J’empochai toutes les économies laissée par mes parents depuis mon enfance, contractai un prêt auprès d’une banque nationale et allai m’installer dans cette nouvelle contrée. Y avait-il des loups, ici ? Je n’en savais rien. Et je n’en avais cure. J’étais désormais seule. Une louve solitaire.

Alors que j’écris ces mots, ma formation est bien entamée. Plus que quelques années. Et mon cabinet, bien que je n’y sois qu’à mi-temps, a su trouver sa patientèle. Je demeure jeune dans cette cité encore méconnue. Mon cercle d’amis est restreint, mes sorties occasionnelles. Mais je le sais, maintenant : il est temps de refaire surface. De m’épanouir à nouveau, loin de ce passé que j’ai décidé d’enterrer.

À jamais. Une louve solitaire, oui, mais une humaine intégrée.

La première louve ! Bienvenue ! o/

Elle a l’air très chouette et l’histoire était super agréable à lire ! Hâte de voir comment va se passer sa tentative de vie en louve solitaire et comment elle va réagir en étant confrontée à la magie.