L’hydre sans tête.

Fallen From Grace : Chapitre premier

La paranoïa se définit comme la méfiance excessive à l'égard de menaces réelles ou imaginaires, la notion clé étant ici l’excès. Or, qui peut réellement juger de cet excès, si ce n’est la menace elle-même ?

Au final, cette méfiance, cette peur ne devient paranoïa que lorsque l’on se sait au sommet de la pyramide. Autrement, elle n’est qu’une phobie totalement légitime. Il est tout naturel, sensé, de craindre son prédateur. Après tout, c’est cette peur viscérale qui maintient toute la chaîne alimentaire en vie dans un équilibre qui ne saurait être remis en cause.
C’est ainsi depuis leur trône d’os et de velours que les créatures impies regardent le genre humain d’un œil détaché, avec la certitude que rien ni personne ne les épie comme eux épient leurs proies. Aucune bête à crocs, aucune ignominie magique n’a jamais senti peser sur ses épaules le poids d’une menace telle que même une lutte acharnée ne saurait en venir à bout.

Pourtant, depuis quelques jours maintenant, un spectre semble hanter la ville. Un sentiment intangible, à peine un frisson qui fait hérisser les poils de la nuque. Faible, mais insistant. Depuis l’ombre d’un coin de rue ou derrière l’écorce d’un sapin, on jurerait que des yeux guettent dans un silence lourd comme le plomb. Mais lorsque tel Orphée on cède à ces provocation silencieuses, point d’amour perdu à l’horizon : seulement un courant d’air impertinent glissant entre ses doigts.
Or, cette brise semble vouloir chuchoter un message : et si ensuite c’était toi ?
En ce début de mois de mars 2024, dans les sphères surnaturelles de tous genres circulent de sordides rumeurs. Des histoires rapportées, peut-être pas très crédibles, à propos de disparitions. On parlerait de wendigos solitaires, à moins qu’il ne s’agisse de lycanthropes. Certains vampires parlent de renégats, mais le Cercle semble n’y être pour rien. Chez les adeptes de la magie, les échos de rituels ayant mal tourné s’amplifient, mais aucune preuve pour les corroborer.
Un hasard, sans doute. Prétendre le contraire impliquerait de défendre l’existence d’un prédateur que les prédateurs eux-mêmes devraient craindre, et surtout que des siècles des existence et d’héritage n’auraient su nommer. Impossible, n’est-ce pas ?

Alors, si ce n’est de la peur, il ne peut s’agir que de paranoïa.