La vie adulte n'était pas des plus simples, elle était même des plus piégeuses. Non mais franchement, pourquoi on ne leur apprenait pas à déceler les petites arnaques dans les contrats ? Comment gérer les factures, les déclarations d'impôts ? Débarquer fraîchement dans la vie adulte et découvrir ce genre de petites blagues, ce n'était pas vraiment au goût d'Ash. Et il se faisait régulièrement avoir par ce genre de pièges de la vie adulte sans qu'il n'y soit préparé et pas plus tard qu'aujourd'hui d'ailleurs !

Ash pensait avoir été malin, il avait eut une envie soudaine de faire plus régulièrement de la musculation en dehors du travail. Toutefois, il n'avait pas vraiment envie de payer une salle de sport, c'était bien trop cher pour ce que c'était et sa pratique. Alors, tel un petit renard, il s'est dit qu'il allait simplement faire la séance de découverte offerte à différentes salles de sport et ça devrait largement suffire pour l'instant le temps que son envie disparaisse, comme à son habitude.

Alors, il fait une première séance quelque part, une seconde à un autre endroit et ainsi de suite. Jusqu'au jour, où un beau matin de janvier, il se rend compte qu'une transaction honteuse vient de faire son apparition sur son compte bancaire. Le jeune homme enquête, lit le libellé qui lui indique le nom d'une salle de sport qui serait destinataire de ce versement. Ni une ni deux, Ash appelle la salle mais personne ne daigne lui répondre. Ne pensez pas qu'il va gentiment se tenir, non... Non. Il s'habille, sort de l'appart où il squatte actuellement pour se rendre à la-dite salle. Il entre et se présente à l'accueil pour démêler ce Bouldeneu.

"Bonjour, j'ai eut un paiement automatique pour votre salle, jcomprends pas.
- Nous allons voir cela de suite, puis-je avoir votre nom s'il vous plaît ?
- Ash Hunter. A-S-H.
- Un instant... Alors, d'après votre fichier client, vous avez souscrit à l'offre VIP avec accès illimitée à la salle 24/24, espace vestiaire et douche privative, boissons offertes, sac de bienvenue et... Ah et les séances collectives, ce mois-ci, c'est pilates !
- Attendez... Vous vous foutez de ma gueule là ? J'ai pas voulu ça moi, jsuis juste venu tester !
- Laissez-moi un instant."

Le jeune homme se leva et se dirigea vers une étagère avec plusieurs classeurs, il en sortit un, le parcourut rapidement avant de sortir une feuille signée par Ash lors de sa séance d'essai. Il lui tendit en lui indiquant alors :

"Voyez, lorsque vous êtes venu faire votre séance d'essais, vous avez signé ce contrat qui vous engage à ce service pendant 12 mois.
- Mais je voulais juste faire la séance d'essai ! C'est de l'arnaque !
- Si vous ne souhaitiez que faire la séance d'essai, il fallait cocher la case en-dessous pour indiquer votre renonciation à l'engagement.
- Mais elle est toute petite votre case ! Même pas en rêve je paie ce prix-là ! Vous allez vous carrer votre paiement dans le cul, jvais bloquer tout ça moi. Jvais pas gaspiller ma paie dans votre salle pourrave ! "

Dans un geste d'énervement, il fit de cette feuille une boule qu'il essaya de jeter dans la poubelle mais sans grand succès, elle tomba à côté et roula au sol. Ash était de mauvaise foi, c'était une très bonne salle, il n'y avait pas grand chose à dire dessus mais cette technique d'arnaque déviante saoulait le jeune homme qui était vexé de s'être encore fait avoir par ce genre de choses. Il commençait clairement à perdre patience.

Est-ce qu'il se délectait de la scène dramatique qui se déroulait à l'accueil, sac de sport sur l'épaule, tout en savourant sa barre protéinée d'après-séance ?
Évidemment.

Absorbé par la discussion entre les deux hommes, il en oubliait presque de respirer, tant l'échange houleux l'absorbait, véritable théâtre qui prenait place au comptoir d'accueil de la salle de sport. Un lieu qu'il fréquentait depuis son arrivée à Vancouver, soit depuis plusieurs années. Habituellement, pour se maintenir en forme, comme tout adhérent de l'endroit. Mais aujourd'hui, visiblement, il avait droit à un dîner-spectacle sans débourser un dollar supplémentaire. Et les divertissements étaient rares, parmi les tapis de courses et les haltères à soulever.

Alors il demeure en retrait quelques instants, jusqu'à ce que la conversation grimpe de plusieurs échelons sans crier gare, et qu'il s'attendrait presque à voir le nouveau saisir l'employé par le col et le soulever par-dessus son comptoir. C'est le moment qu'il choisit pour intervenir et s'approcher à grandes enjambées du conflit embryonnaire, afin d'ajouter son grain de sel.
L'ennui, l'éternel moteur de tout élan.

« Euhm, si je puis me permettre… »
En général, Serguey se permettait souvent de donner son avis, surtout lorsqu'il n'y était pas invité.
L'employé décroche son regard du nerveux énergumène pour le planter dans le bleu d'acier du Russe, et lui décocher une froide réplique teintée d'agacement.
« Monsieur Kazanov, quoi que vous ayez à dire, je suis sûr que vous aurez la patience d'attendre votre tour. »
Peu habitué à une telle dureté, le quadragénaire arque un sourcil et s'appuie sur le comptoir, toisant l'employé de toute sa haute stature.
« Dites donc Liam, d'habitude, vous vous permettez davantage de familiarités avec moi. Pas la peine de me rabrouer. »
Un clin d’œil appuyé et qui ne cherche pas à être discret souligne son discours, et murmure à l'oreille de son interlocuteur : ne me force pas à te faire rougir, parce que je connais les ficelles sur lesquelles tirer, et je n'hésiterai pas à les actionner.

Les pommettes de l'employé se teintent effectivement de rose à cette évocation et il tousse, comme si cela suffirait à chasser la couleur. Il replace ses lunettes d'un geste qui se veut détaché, mais qui ne dupe personne. Se replonge dans sa paperasse, pour se rassurer, et agite le formulaire signé par Ash sous leurs yeux.
« Qu'est-ce que j'y peux moi, si Monsieur a signé sans lire la totalité de ce à quoi il s'engageait ? Une fois que c'est rentré dans l'ordinateur, je ne peux plus revenir en arrière. »
Ah, les bureaucrates et leur psychorigidité… Le Slave se retient de lever les yeux au ciel, pour ne pas froisser la susceptibilité de son interlocuteur. Néanmoins, il ne déloge pas du comptoir auprès duquel il semble s'être enraciné, comme si tout cela le concernait de très près. Après tout, qu'avait-il de mieux à faire ? Retourner auprès de ses tourments, qui l'attendaient sagement dans le silence de son appartement, en l'absence de Lyuba ?

« Le petit s'est un peu emporté, mais faut le comprendre, les dernières semaines ont pas été faciles pour lui. »
Il ignore à quel point le dénommé Ash serait enclin à révéler des informations concernant sa réelle profession, mais l'ancien militaire était observateur. Il avait remarqué le jeune homme lors de sa séance d'essai. Sa rigueur. Sa détermination. La répétition parfaite de certains mouvements. Sa façon d'analyser le terrain et les machines. Une similitude qui l'avait frappé. Entre frères d'armes, on se reconnaissait. En tout cas, l'ancien militaire avait identifié en ce nouveau venu un compère. Ce qui avait peut-être fait pencher la balance du côté de la sympathie, lorsqu'il l'avait entendu hausser le ton face à Liam.

L'employé hésite, sourcil arqué, à l'écoute, cherchant à démêler le vrai du faux. Mais il connaît Serguey depuis des années, et le gage de confiance qu'il semble accorder à Ash l'adoucit quelque peu, malgré le ton agressif du jeune homme.
« Peut-être qu'on pourrait, disons, trouver un compromis ? Okay pour le paiement de ce mois-ci, mais vous pourriez peut-être trouver une solution pour annuler l'engagement sur douze mois ? Le petit est perturbé, d'ailleurs il s'excuse de s'être emporté, pas vrai ? »
« Je ne sais pas si mon logiciel me permet de… »
« Très bien, le temps que vous trouviez une solution, j'aimerais bien profiter de ces boissons illimitées. »
Et, d'une puissante poussée dans le dos, il décroche Ash du comptoir et le dirige vers le distributeur, afin de désenclaver la situation, désamorcer le conflit et déporter les humeurs lunatiques du jeune homme.

Ash n'était pas de ceux qui se laissaient faire lorsqu'on souhaitait le prendre pour un idiot et il était à deux doigts de laisser exploser la bombe dans sa tête et décocher à ce stupide agent d'accueil une réplique bien sentie, peut-être même un coup bien placé s'il continuait à le prendre ainsi pour de la merde. Ou peut-être que son acte de violence se dirigera plutôt vers l'ordinateur, il risquait moins d'ennuis... Alors qu'Ash tentait de réfréner cette douce envie de tout envoyer valser, une voix vient s'ajouter à l'addition. Par réflexe, le jeune homme répondit du tac au tac de façon insolente.

"Te permet pas."

Kazanov ? Aux mots de l'employé, le jeune homme tourna la tête vers l'énergumène intrusif. Super, un vieux. Allait-il avoir le droit aux éternelles remontrances du style : "La jeunesse n'a plus aucun respect." - "Tu devrais rester à sa place." - "Tu mériterais bien une leçon" - "Quel manque d'éducation." ? De nombreuses répliques que le jeune homme avait bien trop souvent entendu et qui l'exaspéraient au plus haut et qui avaient tendance à le faire sortir de ses gonds, comme bien d'autres choses, soit-dit en passant.

Le rose aux joues n'échappent pas au regard acéré du jeune homme et il ne peut réfréner son envie de lever les yeux au ciel et de pousser un soupir. Mon dieu, il était tombé sur un tombeur, ou quoi ? Il espérait ne pas avoir à assister à une scène mièvre. Lorsque l'agent d'accueil reprend contenance et se met à agiter le formulaire sous son nez, Ash a envie de lui fourrer au fond de la gorge.

"Jvais t'encastrer la tête dans ton logiciel, on va voir si t'es pas capable d'en faire quelque chose !"

Et voilà que l'autre continue à mettre son grain de sel de façon bien trop diplomate à son goût tout en l'appelant "petit". Non mais c'est pas parce qu'il est périmé qu'il peut l'appeler comme ça ! C'est plus un gamin, bordel, il sait très bien se gérer tout seul ! Enfin à quelques détails près. Et d'où il commence à lui inventer une vie, là ? Ils se connaissent même pas. Il s'apprêtait à le rembarrer proprement mais voici qu'il enfonce encore un peu plus le couteau. Lui ? S'excuser de s'être fait arnaquer ? C'était fort, quand même. Ash pourrait potentiellement accepter ses torts dans le fait de s'énerver et de ne pas être des plus polis mais s'excuser ? Jamais, c'était bien trop. C'était lui la victime réelle dans cette histoire !

"Jsuis pas perturbé ! Et d'où jvais payer ce mois ?! Même pas en rêve je m'ex... Hé !"

Il n'a même pas le temps de finir sa réplique que d'une bourrade dans le dos, il doit abandonner l'accueil et se fit emmener jusqu'au distributeur de boissons. D'un oeil rageur, il attrapa un gobelet, tapa son numéro client dans la machine pour se servir une boisson énergisante aux fruits des bois.

"Je pouvais très bien me débrouiller seul, il se fourre le doigt dans l'oeil et bien profond s'il pense que je vais payer plus longtemps cette merde. "